Centre de droit public et social de l'ULB

Comment reconnaître un parti communautariste

Le refus de certains partis de gouverner avec la Team Fouad Ahidar, jugée communautariste, relance le débat sur cette notion, qui recouvre au mois cinq traits assez clairement identifiables.

Par Vincent de Coorebyter, professeur à l’ULB

Parmi les obstacles à la formation d’un gouvernement bruxellois, il y a l’image de la Team Fouad Ahidar, parti politique qui occupe 3 sièges sur 17 dans le groupe linguistique néerlandais mais avec lequel certains refusent de gouverner en raison de son caractère communautariste.

Ce parti politique est nouveau, et assez mal connu, de sorte que je me garderais bien de décider s’il mérite ou non cette étiquette. Par contre, il est utile de se demander ce que peut recouvrir cette qualification de « communautariste », qui est toujours utilisée dans un sens négatif, comme un motif d’ostracisme.

La question se pose d’autant plus que, dans les milieux qui défendent les droits des minorités, et notamment des musulmans, la notion même de parti communautariste est contestée. Trois arguments au moins servent à relativiser le procès en communautarisme ou à le retourner contre ses auteurs.

Selon le premier argument, ceux qui condamnent le communautarisme et prétendent défendre un modèle universaliste sont eux-mêmes communautaristes : ils ont une vision fermée et identitaire de ce que doit être la société, ils expriment sans le savoir le communautarisme du groupe social dominant. Selon le deuxième argument, on n’a pas à fustiger le fait que des partis se préoccupent des intérêts de la communauté musulmane alors que d’importants partis politiques belges, la N-VA et le Vlaams Belang aujourd’hui, le FDF hier, sont eux-mêmes ouvertement communautaires. Enfin, selon le troisième argument, tout parti – terme qui vient du latin pars, la partie – est communautariste par définition, étant voué à défendre un segment spécifique de la population : les salariés modestes et les allocataires sociaux, les entreprises, les indépendants et les cadres, les membres d’une communauté linguistique, les composantes d’un pilier confessionnel ou idéologique… Tout le monde, donc, serait communautariste, ce qui interdirait de formuler ce reproche à l’encontre de la Team Fouad Ahidar ou de tout autre parti du même genre.

Cette riposte permet d’éviter les simplismes. Mais elle n’est pas décisive, car on peut répondre à chacun de ces arguments. Même si certains en font un usage discutable, l’universalisme n’a pas vocation à défendre des principes majoritaires au détriment des minorités mais au contraire à promouvoir des droits égaux pour tous. Même s’ils sont nés de la défense d’une communauté linguistique, les partis dits communautaires sont rapidement devenus des formations généralistes, qui interviennent sur tous les objets de décision et sur tous les segments de la société. Même si, sur fond de clivages, chaque parti ou presque défend une idéologie déterminée, leur action poursuit des intérêts généraux comme le développement économique, le maintien de l’ordre ou la préservation du climat. Prétendre que tel parti n’est pas communautariste parce qu’ils le sont tous est un peu court : cela revient à nier les différences entre eux, alors que l’observation de leurs discours et de leurs pratiques donnerait des résultats contrastés.

Se demander si un parti est communautariste n’est pas donc pas choquant. Mais encore faut-il savoir ce que l’on entend par là. L’éventuel communautarisme est très différent selon que la défense de la communauté et de ses valeurs spécifiques se déploie par opposition à d’autres communautés ou au groupe social dominant, ou selon qu’elle est dirigée contre l’individualisme qui pourrait saper l’homogénéité de la communauté et conduire une partie de ses membres à s’en détacher.

S’agissant d’un parti politique, les deux peuvent se mêler, et il semble que le reproche de communautarisme embrasse ces enjeux simultanément. Pour être plus précis, la notion de parti communautariste vise, pour ceux qui l’emploient, au moins cinq traits qui seraient propres à ce type de partis et qui poseraient chaque fois problème dans un cadre démocratique.

Le premier trait est la focalisation quasi exclusive sur un groupe social déterminé, qui empêche a priori un parti communautariste de devenir généraliste et de s’adresser à tous. Le deuxième trait, plus marqué, réside dans la défense systématique ou sans nuance des intérêts et des valeurs de ce groupe social, ce qui entre en contradiction avec le souci de l’intérêt général. Le troisième trait est une forme de démagogie, une reprise sans distance suffisante de la vision du monde propre au groupe dont le parti se fait le relais, ce qui nuit au vivre-ensemble en favorisant le repli de la communauté sur elle-même.

Ces trois premiers traits semblent devoir être réunis pour pouvoir qualifier un parti de communautariste. Les deux suivants sont facultatifs, mais ils aggravent le diagnostic aux yeux de ceux qui s’inquiètent d’une telle tendance. Le quatrième trait est en effet l’encouragement au stemblok, qui consiste, de la part des électeurs appartenant à un groupe déterminé, à choisir systématiquement des candidats aux élections issus de la même communauté, ce qui nuit à l’autodétermination des élus, qui peuvent se sentir redevables à leur électorat. Le cinquième trait est la désignation d’une autre communauté ou d’un autre groupe social comme un adversaire ou comme un ennemi, ce qui nuit au respect dû à tous en démocratie et peut alimenter un climat de défiance voire de haine.

J’ignore si la Team Fouad Ahidar présente plusieurs de ces traits caractéristiques de ce qu’on appelle des partis communautaristes. Si c’était le cas, on ne pourrait en tirer aucune conclusion en droit : ces pratiques sont légales (sauf celles qui correspondraient au cinquième trait et qui pourraient constituer, dans telle ou telle circonstance, une incitation à la haine ou à la violence). Quant aux conséquences à en tirer en termes de participation à un gouvernement, elles sont encore plus difficiles à établir : faut-il écarter un parti a priori pour communautarisme, ou peut-on se risquer à tester sa capacité d’ouverture en l’embarquant dans une coalition ?

Publié dans le journal Le Soir du 14 juin 2025

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